Archives de la surprise de Vincent Aubert
Béguin et Bob Morane
2 avril 2012
Béguin et Bob Morane
Oui, quand j’étais môme, je lisais, je dévorais en cachette des Bob Morane. En cachette car mes parents, dans un souci bien compréhensible d’éducation, voulaient que je fasse mes premières armes de lecteur sur une littérature qui avait fait ses preuves. Selon leurs conseils je devais lire l’Antigone de Sophocle, dans la version de Bonnard, tiré de la riche collection de la Guilde du Livre, ornement incontournable de la bibliothèque familiale.
Je n’ai pas toujours suivi leurs préceptes puisque je passais une partie de mes nuits blanches avec Morane Bob, Ballantine Bill et le terrible Monsieur Ming. Et c’est peut-être mon penchant pour la prose d’Henry Verne qui me fit basculer sur celle de Pierre Béguin.
Ce que je cherchais dans mes lectures post enfantines, c’était la possibilité de m’échapper sans risque dans un ailleurs totalement stéréotypé. Monsieur Ming, c’était le Grand Méchant Loup des Trois petits cochons !
Avec Béguin et sa Terre de personne, je me suis trouvé plongé dans un environnement où peut-être les Bob et Bill de mon enfance n’auraient pas survécu. Tout avait changé et tout était devenu réel. Ce qui est une autre paire de manches.
Comme le dirait Frédéric Mitterrand, « la Nature de Terre de personne n’est pas seulement sauvage, elle est hostile. Chaque feuille, chaque plante, chaque goutte d’eau, chaque animal, même minuscule, est un soldat sur pied de guerre qui connaît son territoire et chante sa victoire. Nulle trêve, nul repos, le combat est incessant et on y laisse sa peau ! »
Et dans cette jungle sans issue, exit la dualité du Bien et du Mal si chère à l’écrivain de mon enfance. Tout est toujours en train de mourir. Béguin ne rigole pas. La simple lecture nous plonge dans une boue terrifiante, dans une humidité poissante. A chaque tourne de page, on se saisit du vaporisateur Broum forte pour faire fuir des insectes sanguinaires. Los guaqueros, les pilleurs de tombes sont des héros de la pire espèce.
Bref, tout cela pour dire que Béguin, via ses héros, nous plonge dans le mal total. Tellement total, qu’après lecture, on se prendrait à militer avec Jean Ziegler et Franz Weber réunis dans une ONG équatoriale.
Mais pourquoi donc, dans cet enfer amazonien dont Pierre a le béguin, au cœur même du mal, le héros, Emel Méneses, se sent-il rongé par la culpabilité. Comme dirait encore Frédéric Mitterrand, « l’hostilité du lieu n’est pas suffisante. Il faut que le héros se sente coupable. Tel Eurypide, Béguin habille la forêt amazonienne d’une lourde humidité tragique et le coupable s’embourbe dans une rhétorique gangréneuse. »
Citation, pour laquelle aucun vaccin n’est encore connu à ce jour : p. 140. « Mon aboulie tenait au sentiment incontournable que cette renaissance s’accompagnerait d’une culpabilité que les tourments insidieux de la mémoire finiraient bien un jour par hisser jusqu’à ma conscience, en dépit de tous les remparts dressés pour l’en empêcher (…). Pour la première fois, j’étais irrémédiablement seul dans mon éternel confrontation avec ce tempérament de coupable-né qui constituait le substrat de mon existence, me désignant d’avance en victime expiatoire des pièges de la morale. »
Tout d’un coup je retrouve l’Antigone de mon enfance. Et je lis Béguin dans la version d’André Bonnard!
Béguin et les blogs
Les blogs.
C’est fantastique les blogs.
Le mot tout d’abord : blog, bloguer, blogueur. C’est la multiculturalité du langage, à moins que ce ne soit la prégnance de l’anglais sur la langue française.
Le blog, pour faire court, c’est un carnet de bord sur le Web, sur la toile en français. Mais enfin, soyons modernes à défaut d’être inventifs.
Alors le blog consiste à émettre, en général, des opinions personnelles sur le sujet de votre choix. Sujet d’actualité qui titille votre égo, votre pensée, votre façon de voir. C’est pratique.
Souvent les médias citent des résultat de sondages sur des thèmes très divers. Mais jamais, au grand jamais, on ne vous a posé la question. Vous n’avez jamais été sondé, alors que vous avez tant de choses à dire. Mais il y a toujours mille ou dix mille individus, pas plus intelligents que vous, qui n’avaient certainement même pas pensé à la question, qui se trouvent élus, choisis pour donner leur opinion ! Un comble ! Merde ! Et moi alors ?! Pourquoi ne me demande-t-on jamais mon avis sur la chose ? Je fais fuir les enquêteurs ? Ils passent quand je suis sous la douche ? Ils ne fréquentent pas la Mère Royaume ? le troquet où je prends mon café ? Bien sûr il me reste les témoins de Jéhova, mais eux donnent la réponse avant la question !
Donc pour me venger, je blogue. Je dis tout haut ce que personne ne m’a demandé tout bas. Mais je le dis. Mieux je l’écris. Reste une trace. Je blogue, donc j’existe !
Et on n’est pas seul dans ce cas. Il existe environ 160 millions de blogs dans le monde publiant un million de nouveaux billets par jour. Il y a de quoi se sentir entouré, non ? Bon il en meurt autant que tombent des arbres en Amazonie, mais ce ne sont que des dégâts collatéraux.
Il y a du Philippe Muray dans ces Bureaux des assassinats, best of des blogs de Béguin. D’abord le titre : assassinats. Il y a de la vengeance dans ces courts textes. Des coups de poignards discrets, cultivés, mais fatals .On y sent une envie d’en découdre, double héritage de d’Artagnan et Zola. Il y a du « J’accuse !» dans ces coups de sang là. Cela fait du bien de l’écrire et du bien de le lire. On a l’impression de participer à l’éradication de la bêtise humaine, du politiquement correct rampant et insidieux. Plus encore quand il s’agit de Tintin.
Citation : « Hergé est-il considéré raciste parce qu’il a dessiné des Japonais fourbes ? Non. L’est-il pour avoir réduit Chicago à une ville de gangsters et représenté les Américains comme des affairistes sans scrupule ? Non. L’est-il pour avoir limité sa vision de l’Amérique latine à des bandes de révolutionnaires sanguinaires et avinés ? Non. L’est-il pour avoir dessiné d’affreux sorciers africains ? Oui, à en croire les nombreuses plaintes contre Tintin au Congo pour atteinte à la dignité du peuple africain. (p 149)
Et plus loin… « Heureusement qu’il n’a pas représenté les Grecs sous les traits de méchants armateurs… »
Jouissifs et agaçants les délires du monde, la volonté de réécrire l’Histoire.
Mais, mais il y a un mais, un joli mais. Je ne suis pas sûr que l’exercice du blog soit très indiqué pour un écrivain, pour un écrivain de la fiction. Il est peut-être même contre-indiqué, voire contre-productif. Car en tant que lecteur, ce n’est pas la pensée de l’écrivain qui me captive, mais la pensée qu’il fait naître en moi à le lire. Mais cela, je le dirai dans mon prochain blog !