Archives de la surprise de Vincent Aubert
Metin Arditi et les romans de gare
1 octobre 2012
Le psy d’Arditi
Ecouter « Le psy d’Arditi » (7MB)
Il est des jours où je rêve d’être psychanalyste. Ou psychiatre. Ou psy quelque chose. Je connais si peu ces professions que je ne sais même pas ce qu’elles recouvrent exactement. Mais il est des jours où l’on aimerait être autre chose que ce que l’on est, plombier ou politicien, sans rien connaître à la tuyauterie et aux pistons, histoire d’imaginer comprendre le monde en le regardant sous un autre angle.
Donc être psy. Non pas dans le but de guérir le monde, Dieu m’en garde, je veux bien être psy mais non être fou ; psy dans le but d’apprécier ce monde différemment le temps d’une journée et d’en voir la cocasserie. Et comme patient, j’aurais Metin Arditi. Non, précision, pas Metin Arditi lui-même, je n’en ai pas les moyens, mais son ou ses narrateurs de ses romans. Je sais très bien que normalement le secret médical m’interdirait d’en parler ici, mais comme nous sommes une assemblée de lecteurs, d’amateurs de mots, de jouisseurs de fiction, donc de vrais mensonges, je peux dévoiler une anamnèse digne de Gallimard Découvertes, par ailleurs magnifique collection .
A l’inverse de beaucoup d’auteurs mâles reçus à la Compagnie des Mots, on ne peut pas critiquer Metin Arditi en arguant du fait qu’il parle de lui dans ses livres. Pas de rage contre des amours infructueuses, des impuissances sociales ou une famille destructrice. De ce côté-ci remercions l’auteur de nous épargner ses abîmes intérieurs.
Mais alors le narrateur omniscient de ses romans se rattrape avec des personnages qui obligeraient Balzac à réécrire la Comédie Humaine. Les Atrides à côté, c’est Walt Disney ! Les personnages des romans de Arditi transportent en eux une bonne partie des souffrances et des malheurs de l’espèce humaine. Ils appartiennent à une diaspora dont l’arrachement douloureux laisse des traces indélébiles dans les générations successives. J’en veux pour preuves les bribes de langues, de cultures, voire de croyances religieuses cachées, étouffées, bannies, qui ont déjà fait plusieurs fois le tour de la Méditerranée, dont ses livres sont émaillés. Tout un précipité d’un monde perdu à jamais, donc chéri pour toujours par d’aucun, une mosaïque où subsistent quelques rares pièces, témoins, à l’instar des bosons, d’un univers créé un jour.
La palme d’or, le concentré de tous ces drames, se trouve dans un pensionnat pour garçons sur les rives du Léman près de Lausanne, plaque tournante du roman Loin des bras. Pas un prof, j’ai envie de dire pion, pas un élève, pas même la directrice, n’échappe à la charpie existentielle, au mal sournois d’une vie ratée. Cela pourrait d’ailleurs s’intituler Chroniques de vie ratées. Je m’interroge donc à propos du narrateur, bien entendu toujours sous l’angle rêvassé d’un psy fictif. Ce narrateur sait tout sur tout. Sur le jeu et l’argent, sur la natation, sur la musique, sur la peinture, sur l’Histoire, sur la douleur lancinante des Kindertötenlieder. Il est Mr Wikipédia pacsé avec Mr Google ! On peut l’interpréter, toujours sous l’angle du psy fictif, comme une vague tendance à vouloir tout contrôler, à vouloir tout savoir, voire ne pas être pris en faute. Une sorte de compagnonnage avec Dieu. Mais en même temps on peut s’étonner, en tant que psy, du plaisir presque pervers à forger un tel mélodrame de destinées au radoub, de cul-de-sac à vivre jusqu’à la lie ? Je le soupçonne aussi, ce narrateur, de tendances déviantes, inconscientes évidemment, pour distiller avec un tel dosage millimétré, du sexe, de la perversité, de l’intimité surie et de la méchanceté bonasse. Cela m’a donné envie de relire Madame Bovary. Et j’ai trouvé chez Flaubert une jouissance de la narration, un plaisir à décrire le malheur, plus importants que le malheur lui-même.
En refermant Loin des bras, j’ai eu l’impression que le narrateur s’était enfui en me laissant lâchement, sur mes bras de psy, ces vies légèrement poisseuses, comme quand adolescent – on n’est plus à une confession près – je lisais en cachette des romans de gare aux couvertures suggestives.
Je parle de romans de gare. Je divague et je rectifie. Il s’agit là d’une grande gare. D’ailleurs j’ai lu un de ses romans et rêvassé à la psychanalyse à la Gare de Lyon. En attendant un hypothétique TGV un jour de grève, je me suis réfugié au Train Bleu et j’ai lu du Metin Arditi avec un alcool hors d’âge.
Que celui qui n’a jamais fantasmé, me jette la première pierre.
La venue d’Arditi
Ecouter « La venue d’Arditi » (4MB)
Metin Arditi et le don
Ah ! Metin Arditi !
Metin Arditi vient! Il sera là à la Cie des Mots !
Dès que ces deux noms sont prononcés, la caverne d’Ali Baba s’ouvre et tous les fantasmes s’y engouffrent.
Metin Arditi ? Celui de l’OSR ? oui, oui, oui.
Metin Arditi ? Celui de l’Auditorium ? Oui, oui, oui.
Metin Arditi ? Celui d’Actes Sud ? Metin Arditi ? Celui de…
Metin Arditi ? Celui de… celui de… celui de…
Tout ce qu’il touche devient de l’or. Prononcer son nom, c’est entrer dans les Mille et une nuits. Tout le monde, critique littéraire pigiste de 2ème année, journaliste vedette du petit écran, hebdomadaire en perte de vitesse, lecteur bienfaisant, tous cherchent à se glorifier à côtoyer Metin Arditi.
Alors, avec la Cie des Mots, que va-t-il se passer ? Que va-t-on lui demander ? Que va-t-il nous donner ? Car évidemment, riche comme il est, il va nous donner quelque chose. Puisque nous lui faisons l’honneur de le recevoir !
Alors quid ?
Est-ce que la Mère Royaume, frustre débit de boisson dans lequel nous nous réunissons va devenir le Père Arditi ? Le restaurant sera-t-il rebaptisé le Metin’s ? La Cie des Mots elle-même changera-t-elle de nom ? Compagnie fait un peu trop frugal et communautaire, voire trop commercial. Peut-être deviendra-t-elle la Ligue Arditi des Mots ? Ou alors la société des Mots arditiens ? Ou tout simplement, la société Arditi ; avec en sous-titre, ses livres et ceux des autres.
Non, non et non. Raisonner comme cela, c’est mal parti. Il faut prendre les choses à l’envers et se dire « que donner à Metin Arditi ? » Que puis-je lui donner, lui qui nous fait déjà don de ses livres ? Qu’est-ce que la Cie des Mots peut offrir à Arditi, lui qui semble avoir déjà tout et qui semble être déjà partout ?
Des mots ! La Cie des Mots va lui offrir des mots, car c’est l’un des rares biens que l’on ne peut pas posséder, ni thésauriser. Les mots fructifient quand ils sont donnés, échangés, lancés, voire perdus.
Ces mots, je les tire d’un quatrain apocryphe du grand poète perse, Omar Khayyam. La traduction est de mes soins.
Une fabuleuse et lointaine Turquie l’a vu naître
Une Suisse généreuse et bien romande l’a vu paître
Mais quel pays pourra s’en orgueillir de dire :
Je l’ai vu disparaître.