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Douna Loup: l’intrigue versus l’intrigue
3 octobre 2011

l’intrigue versus l’intrigue

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Douna LoupMonsieur le Juge, Mesdames et Messieurs représentants de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés, je commencerai ma plaidoirie par rappeler quelques évidences.

Tout le monde sait ce qu’est un livre. Dans un livre se retrouvent assemblées un certain nombre de pages traitant un ou plusieurs thème. Dans le cadre d’un livre de fiction, d’un écrivain donc, d’un artiste, ce livre est composé de pages que l’auteur a bien pu pondre, inventer, imaginer, que sais-je. Jusque là tout va bien et vous devez vous dire, M. le Président, vous la Cour, vous Mmes et M les jurés, que je suis un peu gonflé ou naïf d’expliquer à votre Cie ce qu’est un livre.

Car si nous sommes ici, c’est bien à cause d’au moins un livre. Ne m’interrompez pas M le Président, j’arrive au fait, en précisant que je ne suis pas naïf.

Gonflé peut-être, parfois, mais point naïf. Où cela se complique, toujours avec le livre donc, c’est quand à l’intérieur du livre écrit, inventé, imaginé, le lecteur découvre un autre livre.

Oui, je sais M le Président, ce n’est pas la première fois que cela se produit. Cent ans de solitude par exemple. Mais je ne dis pas que c’est la première fois, je dis que cela se complique. Cela se complique d’autant plus que,

1o, l’auteur du livre dans le livre est mort, mort suspecte, mais ce n’est pas le sujet de ma réflexion, mort avant le commencement de l’histoire que vous lisez et,

2o, le contenu du livre trouvé dans le livre est un livre lui-même, déjà écrit depuis 2000 ans et plus, la Bible.

J’y arrive M le Président. Il faut, avouez-le, être passablement dérangé pour recopier le livre le plus édité de la planète pour finalement se laisser mourir de faim, se laisser vider de sa vie, avec sur soi LE livre qui prône la vie, le pardon, les Dix Commandements, la Pêche Miraculeuse et les Noces de Cana. Donc pour résumer, Douna Loup, ici présente Mesdames et Messieurs les jurés, commet un livre avec, entre autre un personnage qui découvre un corps en pleine décomposition portant sur lui un carnet où sont recopiés des passages de la Bible. Quelque part, sans vouloir vexer personne, c’est véritablement un cul de sac.

Et c’est là, alors que tout semble s’arrêter, que le sac perd son cul. C’est une image M. le Président, mais qui dit bien ce qu’elle veut dire. Dans le fameux carnet, quatre feuillets ont été arrachés. Ils sont manquants. Et c’est là où je me tourne vers les psychiatres, -chanalyste, -chologues présents dans la salle pour interpréter ce truc, cette double mise en abîme. L’auteur, présente à la barre, invente un manque. Une disparition. Et nous pose une énigme via le héros de l’Embrasure : qu’est-ce qu’il y avait sur ces foutus feuillets. C’est génial ! On veut savoir ! On invente, on fabule sur cette absence, sur cet arrachement au tout. A la Bible, notre mère à tous ! C’est pire que le Da Vinci Code. Il y a un trou, on s’y engouffre, on parcourt des kilomètres à la suite du héros, une énigme est posée, il faut la résoudre. Je ne suis pas plus bête que ce chasseur à la noix, j’ai ma petite idée sur le sujet. Et on marche !

Alors qu’il n’y a rien. Absolument rien, puisque l’auteur, mesdames et messieurs les jurés, nous fait découvrir un carnet sur un cadavre par un chasseur qui va tirer son coup dans la Nature. Avec un grand n, Nature. Mais il n’y a pas plus de carnet que de cadavre, de pages manquantes que de chevreuils tirés. Ces pages manquantes, c’est personne d’autre que l’auteur qui les a arrachées. Elles n’existent pas et en les arrachant elle leur donne vie. J’espère que vous avez bien saisi la perversité de la chose littéraire. Proust nous avait déjà fait perdre une éternité en recherchant un temps que personne n’avait perdu, et maintenant Douna Loup nous fait croire à l’existence inventée de pages arrachées qui existent dans son esprit, et malheureusement dans le notre une fois le livre lu.

Je vous remercie.

La question

Ce que cela doit être ennuyeux de se faire interviewer. On passe des jours, voire des nuits à écrire, réécrire, remonter, le bouquin sort et on vous demande pourquoi ceci, pourquoi cela?

Si l’auteur énonçait mieux par oral ce qu’il a pris des plombes à mettre par écrit, il devrait changer de métier. Comme dans la grande cuisine ; si la réponse au pourquoi du topinambour est plus importante et plus pertinente que la nourriture elle-même que vous dégustez avec joie en bonne compagnie, il y a un problème. Il faut tenir un stand de légumes et non se tenir aux fourneaux.

Par contre les questions révèlent beaucoup de chose. La volonté de faire comprendre aux autres, la volonté de faire « descendre » l’artiste de son piédestal et de le ramener vers monsieur et madame tout-le-monde. Et chose plus grave, volonté de trouver une liaison, une continuité entre la vie quotidienne et la réalité littéraire.

Concernant Douna Loup, les questions sont plutôt gratinées. Nous nous trouvons devant une femme écrivain, jeune, avec du talent. Elle pourrait au moins épouser une vision féministe, parler de la femme jeune, épanouie, ou alors en lutte avec la domination millénaire du mâle culturel. Eh bien non ! Cette bécasse prend un homme comme héros. Un homme acratopége devrai-je dire. Même pas détestable, physiquement baisable, il exerce un métier inintéressant dans une usine dont on ne connaît même pas les revendications salariales d’un prolétariat forcément exploité. Il n’aime pas voyager, habite une ville quelconque, dans une rue quelconque, qu’il aime bien. Et tare parmi les tares, il pratique avec amour la chasse et le tir. Cinquante ans de lutte féminine balayée d’un coup en 150 pages au Mercure de France. Merde alors ! Il y a de quoi se poser des questions, non ? Qu’avez-vous à dire pour votre défense, DL ?

Vous imaginez un entretien avec Boticelli, oui, oui, le peintre, inventeur de la Coquille Saint-Jacques, dont la première question serait : « Signore Boticelli, comment avez-vous pu peindre con tanta bellezza la naissance de Vénus, alors que vous êtes un homme ?

Ou encore, Signore da Vinci, malgré tout votre amour pour les hommes, comment avez-vous dessiné un sourire si énigmatique et féminin à Mona Lisa ?

Monsieur Flaubert… Madame Bovary, Beethoven…pour Elise, DH Lawrence… Lady Chatterley…

Jamais on aurait l’idée de poser de telles questions. Alors pourquoi avec Douna Loup ? Par jalousie ? pour profiter de son talent et de ce qu’il cache ? Peut-être. Peut-être.

Douna Loup, êtes-vous libre en fin de semaine ? Je m’étendrai bien un peu encore sur votre écriture. Que j’ai adoré, bien entendu.