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Les chutes d’Antonin Moeri
6 février 2012
Les chutes d’Antonin Moeri
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A l’annonce du prochain auteur, je me suis réjoui.
– Ça risque d’être rigolo !
Voyant la tête de mon interlocuteur, je précise ma pensée :
– Ben oui, avec Meury, cela risque d’être vif et plein de réparties ! Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit un humoriste !
Mais Moeri est un écrivain, me précise Serge Bimpage ; il écrit des livres ! Antonin Moeri est publié entre autre chez Campiche ! (Comme si c’était la preuve qu’il est forcément pas drôle.)
– Antonin ?!?
J’avais cru comprendre Thierry Meury. En effet, c’est moins drôle. Mais qu’à cela ne tienne, puisqu’un Moeri est là, prenons Antonin.
Avec Antonin M. il y a un problème de chutes. Un grave problème de chutes. Je prends comme exemple ses livres où il est question de portraits, de nouvelles. Je ne sais d’ailleurs pas comment dire : portraits sous forme de nouvelles ou nouvelles sous forme de portraits. Qu’importe en définitif. Antonin M. nous dépend tout un petit peuple qui n’aurait jamais droit à apparaître dans les pages people des magazines. Ils sont trop acratopèges. Tant mieux peut-être.
Dans Paradise Now, Antonin M. atteint un sommet avec l’histoire d’un grutier. Un sommet au propre et au figuré donc. Mais un sommet en tant que nouvelle, que je placerais volontiers entre Buzzati et Garcia Marquez. Un jour, le grutier en question décide de ne plus descendre de sa cabine et de rester à vivre là-haut, cinquante mètres au-dessus du sol. Magnifique. Comme lecteur, tout de suite, je fabule, je regarde la vie, ma vie, d’en-haut; l’agitation des gens, l’effervescence de la circulation que j’imagine genevoise évidemment. La vue imprenable, des aurores qui s’effacent dans une lenteur incommensurable, des couchers de soleil indescriptibles, les caresses des vents du large… et ainsi de suite à l’infini.
Un soir, la fille du dit grutier vient parler longuement avec son père. Le dialogue se déroule via l’interphone de la machine. Là encore j’imagine la voix nasillarde dans la cabine légèrement oscillante :
– Papa, tu vas bien ?
Et la réponse qui résonne dans le quartier glauque, faisant écho aux klaxons et aux téléviseurs.
– Mais oui ma fille, je vais bien.
Ce soir-là, sa fille lui parle plus longuement que d’habitude. Elle lui dit tout ce que son absence à lui éveille pour elle et pour le reste de la famille. Et là, pendant leur propre dialogue, à nouveau j’imagine toutes les absences dans ma famille, les définitives ou les passagères, les mots que je pourrais dire, les sentiments que je pourrais exprimer. Sans compter ceux des autres.
Bon ici, je vous la raconte en cinémascope, avec travellings et ambiances sonores. Antonin M. le crée en quelques lignes. C’est tout l’art de l’écrivain.
A la fin, la jeune fille se tait et écoute la réponse de son père. Elle l’entend alors pleurer. Magnifique. Même le lecteur a les larmes aux yeux. Après tout cet immense transport, réel et métaphorique, cette nouvelle s’achève par cette sentence terrible : « Le grutier se rendit compte d’une chose : vivre sans les autres est impossible. » !!!
Alors là, Antonin M. , une chute comme cela devrait être interdite. Si Christian Constantin faisait partie de la Cie des Mots, il vous traînerait devant les tribunaux. Après tant de fantasmes de lecture, une chute pareille, pour le lecteur que je suis, cela fait vraiment trop mal. Elle m’a fait tomber de haut.
Deuxième de couverture
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Les couvertures des livres de Moeri sont drôlement jolies. Les titres également. Belles illustrations, judicieux camaïeux dans les coloris. Mais au 2ème ou 3ème de couverture, cela se gâte. D’ailleurs, en général, je n’aime pas les 2èmes, les 3èmes, voire les 4èmes de couverture. Jamais cela m’a fait acheter un livre ou poursuivre la lecture.
Cela vaut la peine de voir ce qu’on y écrit dans ces 2èmes de couvertures. Prenons l’exemple Moeri puisque nous l’avons sous la main. Mais d’abord se poser la question : que faut-il dire ou savoir de l’écrivain dont on va lire l’ouvrage ? Est-ce qu’on doit dire quelque chose ? Une information serait-elle essentielle à la lecture ou au lecteur ? Est-ce qu’on lit un livre ou un écrivain ? Je n’ai pas la réponse.
Moeri est né à Berne. Silence. Dans certains de ses livres il est même précisé que Berne est en Suisse. C’est tout à fait exact. Mais franchement, le nom de cette ville illustre va-t-il vous pousser à lire le livre en question ? Je n’ai pas la réponse.
Ensuite, il nous est dit que l’auteur a vécu ses premières années à Mexico. Berne, Mexico. Deux capitales. Et alors ? Qu’est-ce que cela a avoir avec l’écriture ? Ce serait Plan-les-Ouates ou Sassetot-la-Guerrière, n’est-ce pas du pareil au même ? Je n’ai pas la réponse !
Attention, je n’accuse pas Moeri d’être né à Berne, ni d’avoir gambadé à Mexico. Si gambadé est le terme approprié pour cette mégapole. Il n’y peut rien lui. Mais jusqu’à quel âge doit-on donner cette information baptismale ? Vous auriez vingt ans et votre livre sortirait de la ronéo je ne dirai pas, mais à cinquante ans et plus…
Puis on apprend que le petit Antonin est parti à Genève pour des études universitaires. Certains disent Eiger, Mönch, Jungfrau ! Pour Moeri c’est Berne, Mexico, Genève ! Et j’aime bien le mot « départ » : il est parti à Genève. On y sent la déchirure, le voyage initiatique, un monde à découvrir. Décidément tout cela pousse à la lecture.
Je passe sur d’autres informations toutes aussi passionnantes et capitales pour le lecteur et je m’arrête sur une phrase en apparence anodine, mais tellement révélatrice : il vit et travaille à Genève. Antonin Moeri, Mesdames et Messieurs, vit ! Ce n’est pas un être abstrait, il n’est pas virtuel, il vit. C’est un être en chair et en os, qui souffre et jouit comme tout un chacun. C’est un écrivain, mais il vit. Au cas où il serait confondu avec le Dr Frankenstein et sa créature.
Non seulement il vit, mais il travaille. Il travaille lui ! Ce n’est pas un homme vivant aux crochets de la société, s’exposant dans les vitrines des libraires, touchant scandaleusement des allocations d’artiste-chômeur ! Non, Antonin Moeri travaille ; et il travaille à Genève où il paie des impôts ! Voilà qui va permettre de m’installer dans une lecture paisible, citoyenne et objective.
Par contre j’aime bien les photos. Découvrir votre tronche à la suite les unes des autres, cela raconte toute une histoire. Des premières, au visage rond, sérieux, engagé, signes d’une importance et d’une conscience certaine, aux dernières, se dessine l’apparition d’un sourire narquois et dubitatif, collant mieux à notre place toute relative dans ce vaste monde. Quant à la dernière photo publiée dans l’Agenda de la Cie des Mots, je la trouve carrément clownesque. Ce qui, venant de moi, est le plus beau des compliments, soyez en sûr. On a l’impression d’y lire une légende : « c’était pour rire, parce que c’était sérieux ».