Archives de la surprise de Vincent Aubert

Jorge Oliveira e Sousa
7 octobre 2014

HERALDIQUE

Jorge Oliveira e SousaVous avez échappé à la bataille d’Azincourt. Oui, il y a près de six cent ans, un roitelet Anglais du nom de Henri V de Lancastre, mettait la pâtée au connétable Charles d’Albret dans un champ détrempé du Pas-de-Calais. Les Français perdaient 5000 hommes dans la gadoue, les Anglais seulement 200. Un vrai carnage, la déroute totale.

Mais que je revienne un peu en arrière. Quand j’ai ouvert ce livre, abécédaire de l’héraldique, peu à peu me sont remontées en mémoire des images d’enfance. Au fur à et mesure des pages, des mots et des reproductions, je revoyais mes feuilletons télévisés préférés, mes jeux d’enfants, mes combats frénétiques avec une épée en bois faite de deux bouts de lambourde assemblés, en croix évidemment. J’en ai mené des batailles en tant qu’Ivanhoé ou Robin des Bois.

Et la bataille d’Azincourt, filmée par Branagh, dans son film Henri V, est pour moi le sommet du carnage, des confrontations des armures, des écus, des bannières. Je ne peux pas voir des armoiries sans imaginer les armes qui les défendent, les chevaux caparaçonnés, les cuirasses au bruit épouvantable, la rouille galopante, les cris rauques des vaincus et le beuglement des vainqueurs.

Mais voilà, cette séquence-là, monument de cinéma, est violente, très crue, malgré les mots de Shakespeare, et elle appartient plus à mes souvenirs et à mes angoisses qu’à la soirée présente. Voilà pourquoi j’ai supprimé les images, mais j’en ai gardé, quelque part, le son.

J’ai demandé alors à un très vieil ami, musicien, d’interpréter la partie sonore de mon fantasme de batailles épiques. René Zosso, avec sa voix qui rendrait fébrile n’importe quel chevalier, et avec sa vielle, volontairement désaccordée, capable de dérouiller jusqu’au dernier boulon n’importe quelle armure, se prête à ce jeu. Qu’il en soit par avance remercié. (intervention à la vielle à roue par René Zosso).

Ce qu’il y a de plus beau dans un livre, c’est la manière dont il nous fait voyager ou rêver. Et le mot blason me permet un second détour. Et je n’ai pu résister à sa signification poétique – nous sommes à la Compagnie des Mots, je me permets de le rappeler.

LE BLASON : (LITT. Pièce de vers à rimes plates (en vogue surtout au XVIe s.) pour faire l’éloge, la satire, la critique de quelqu’un.) Il s’attache également à décrire tout ou une partie du corps humain, quand il ne s’agit pas des parties elles-mêmes.

.

Et j’ai emprunté à un poète du XXème siècle ce très beau texte, qui a pour titre : LE BLASON.

Ayant avecques lui toujours fait bon ménage,
J’eusse aimé célébrer, sans être inconvenant,
Tendre corps féminin, ton plus bel apanage,
Que tous ceux qui l’ont vu disent hallucinant.
Ç’eût été mon ultime chant, mon chant du cygne,
Mon dernier billet doux, mon message d’adieu.
Or, malheureusement, les mots qui le désignent
Le disputent à l’exécrable, à l’odieux.
C’est la grande pitié de la langue française,
C’est son talon d’Achille et c’est son déshonneur,
De n’offrir que des mots entachés de bassesse
A cet incomparable instrument de bonheur.
Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques,
Tendre corps féminin, c’est fort malencontreux
Que ta fleur la plus douce et la plus érotique
Et la plus enivrante en ait de si scabreux.
Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres, pas plus, familier, coutumier,
Il est inexplicable, il est irrévocable,
Honte à celui-là qui l’employa le premier.
Honte à celui-là qui, par dépit, par gageure,
Dota du même terme, en son fiel venimeux,
Ce grand ami de l’homme et la cinglante injure,
Celui-là, c’est probable, en était un fameux.
Misogyne à coup sûr, asexué sans doute,
Au charme de Vénus absolument rétif,
Etait ce bougre qui, toute honte bu’, toute,
Fit ce rapprochement, d’ailleurs intempestif.
La male peste soit de cette homonymie !
C’est injuste, madame, et c’est désobligeant
Que ce morceau de roi de votre anatomie
Porte le même nom qu’une foule de gens.
Fasse le ciel qu’un jour, dans un trait de génie,
Un poète inspiré, que Pégase soutient,
Donne, effaçant d’un coup des siècles d’avanie,
A cette vrai’ merveille un joli nom chrétien.
En attendant, madame, il semblerait dommage,
Et vos adorateurs en seraient tous peinés,
D’aller perdre de vu’ que pour lui rendre hommage,
Il est d’autres moyens et que je les connais,
Et que je les connais.