Archives de la surprise de Vincent Aubert

Autour de Pascale Kramer
5 septembre 2011

La grande peur dans le roman.
(à la manière de Charles-Ferdinand Ramuz)

Pascale KramerJ’ai bien aimé l‘homme ébranlé. Bon je sais, on devrait pas dire des choses comme cela. Aimé, pas aimé, ça fait un peu adolescent. Et puis on est dans un monde où il ne faut pas trop étaler ses sentiments. Bon, tant pis, moi j’étale. En commençant l‘homme ébranlé, j’ai eu un problème de prénoms. Je les mélangeais tous. Oui parce qu’il y a Claude, l’homme ébranlé en question, atteint par un cancer, en phase terminale. Gaël, son fils, qui vient passer une quinzaine de jours chez lui. Il y a Simone, la compagne de Claude, qui n’est pas la mère de Gaël, car ils se connaissent seulement depuis une dizaine d’années, Claude et Simone, alors que Gaël a onze ans. Donc la mère de Gaël, c’est Jovana, avec qui il n’a jamais vécu, Claude. Aventure d’un soir et il n’a rien voulu savoir de la suite. Mais elle était sportive, Jovana. Plus maintenant car elle roule en 4×4.Cédric, c’est le fils de Claude. Enfin un autre. Pas un autre Claude, mais un autre fils. Le premier. Mais toujours pas de Simone. Puisque Simone et Claude ne se connaissent que depuis une dizaine d’années et que Cédric en a bien une trentaine. D’années. Cédric avait déjà 17 ans quand Gaël est né et il ne l’a pas connu. Personne d’ailleurs. La mère bien sûr. Jovana, donc pas Simone. La mère de Cédric, on ne la connaît pas, cela fait un nom de moins à retenir. Par contre il est marié avec Yolande, Cédric, et leur fille s’appelle Aude. Donc il est grand-père, Claude, d’une petite fille, Aude, qui est à peine plus jeune que son fils Gaël, inconnu. Enfin inconnu d’eux au début du roman. Je ne sais pas si vous suivez ?

Après avoir dit qu’on a aimé ou pas un livre, il y a toujours quelqu’un pour vous demander pourquoi. Pourquoi tu as aimé ? pourquoi tu n’as pas aimé ? Là c’est plus coton parce qu’il faut commencer à analyser. Et analyser me donne toujours l’impression d’entrer en thérapie. Je ne me sens pas malade d’aimer ou non un livre. Mais là je sais pourquoi j’ai aimé. Parce que l’homme ébranlé m’a fait penser à des tas de choses. J’ai révâssé, j’ai pensé à des événements, à des gens, à des histoires. Je dis toujours : le livre qui me plaît est toujours plus grand que le livre lu. Une copine à moi m’a dit : ce n’est pas de la lecture, mais du squat !

J’ai aimé parce que l’histoire en fait est simple avec des phrases complexes. Ou la la, il ne s’agit pas de sauter un mot à la lecture. La Pascale elle vous rive aux mots et ne vous lâche pas la main. C’est charnu comme écriture. Je ne sais pas si ça se dit d’une écriture, charnu, mais je trouve que c’est charnu. Pas touffu, mais dense.

Et puis j’ai pensé à Charles-Ferdinand. Eh oui, Ramuz. Oui, c’est comme cela que je lis. En sautant dans d’autres histoires, en accolant d’autres auteurs. Je ne sais pas pourquoi, mais le récit m’a tellement envoûté, celui de Pascale Kramer donc, que j’ai pensé à d’autres récits envoûtants. Et j’ai imaginé que Ramuz se trouvait par hasard au milieu de cette famille. Et cela donne ceci :
Il était là incrusté dans son fauteuil et le fauteuil paraissait plus grand que lui. Ce qui fait que les autres, ceux qui venaient lui rendre une dernière visite, ceux qui voulaient savoir comment il allait, les autres donc ne le voyaient pas lui dans son fauteuil de patriarche, mais constataient avec effroi ce qu’il n’était plus. Car il faut le dire, avant, quand tout allait bien, on n’avait pas le temps de s’arrêter dessus. Jadis on ne voyait que lui, on n’entendait que lui. On l’écoutait et on ne pouvait pas faire autrement. Sa parole incisive, percutante fascinait, même qu’on en était un peu jaloux. Maintenant c’était le fauteuil que l’on remarquait ; le fauteuil avec cette chose dedans. Il paraissait immense avec des accoudoirs de défenses d’éléphant ; comme une chaussure dix fois trop grande qu’un enfant enfile pour se faire remarquer et jouer au paillasse.
Les mains du malade sortaient d’une immense chemise plissée aux manchettes géantes, rigides d’un amidon tenace. C’étaient surtout des os recouverts d’une peau tavelée ornés d’ongles étrangement puissants. Un cou veiné était fiché dans un col trop large, pourtant fermé jusqu’au dernier bouton. Tout paraissait disproportionné dans ce visage où l’on cherchait avec effroi à retrouver des traits familiers. Les lèvres, jadis si vivantes et pleines, avaient totalement disparu, laissant poindre un menton saillant. Le nez semblait de carnaval tant sa taille était grotesque. Les yeux surprenaient encore, car bien vivants dans ce masque mortuaire aux oreilles pendantes. Le reste n’était que pelades et escarres sur un crâne en coquilles d’oeuf.
Une fois là, on ne demandait plus si cela allait, s’il y avait un mieux. Les mots s’évanouissaient et on se saisissait d’une tasse de thé un peu fade pour cacher sa gêne.
C’était bête en somme, car il n’était pas encore mort. On aurait dû fêter la vie au moins jusqu’au bout et boire un verre comme on le faisait toujours après une belle dispute. On ne le pouvait pas, sa maladie nous en empêchait et nous laissait les bras ballants, le verbe rare. On n’avait qu’une envie, fuir, fuir pendant qu’il était encore temps et revenir plus tard se compter parmi les vivants.

Kramer versus Kramer, ou Jean-Luc persécute

Bon, Kramer, vous écrivez des bouquins. C’est bien. C’est même très bien. Mais c’est dangereux. Très dangereux. Vous ne le saviez pas ?
Non, ce n’est pas dangereux pour vous qui commettez le livre. Les livres. Vous, vous risquez tout au plus une scoliose ou une tendinite Caran d’Ache. Mais pour le lecteur c’est terrible. Pour moi en tout cas !
J’ai commencé par L’Adieu au Nord. Moins de 200 pages, c’est dans mes cordes. Mais le bouquin m’est tombé des mains, je me suis cassé le pied. J’ai le pied fragile, d’accord, mais j’ai dû dire adieu au tournage que j’avais le lendemain.
Terrible. Kramer, on me disait Kramer, la Genevoise de Paris, le Mercure de France et tout le Bataclan. Résultat des courses, je me retrouve éclopé.
A propos, à Paris, comme ils prononcent tout de travers, ils disent « Kramé » pour Kramer? Bon, je me suis dis : concours de circonstances, c’est ma maladresse habituelle. Ok, bon, d’accord.
Alors j’attaque Retour d’Uruguay. Comme le précédent bouquin, Adieu au Nord, n’était pas particulièrement un livre d’aventures comme le titre me l’avait laissé supposer, celui-là devait me combler. L’Uruguay, au moins ils ont une équipe de foot capable de foutre la patate à celle d’Argentine… Résultat du match, je me casse l’autre pied. Bam !
Vos personnages, mais où c’est que vous allez les chercher !? Incroyable. Même Alain Morisod ne les voudraient pas pour ses coups de cœur à la TSR ! Ils ne feraient pas trois lignes dans le journal 20 minutes ! Et vous arrivez à nous en gaver pendant plus de 200 pages !
Bon d’accord, on ne peut pas refaire Jean Valjean, Mme Bovary ou Bardamu. Mais quand même !
La baise ! Ah ! oui, la baise dans vos bouquins ! Ce n’est pas facile de réussir une scène de baise. Je ne parle pas de la réalité. Là chacun fait de son mieux, et en général on a droit à plusieurs tentatives. Au cinéma, à tourner, ce n’est pas toujours rigolo non plus. Quinze personnes autour de vous donnant des explications pour le bon fonctionnement de la prise… Mais dans un livre ! En trois lignes on se retrouve dans le mouillé au milieu de draps sales et fripés ! Le mec veut tirer son coup, la fille n’a pas envie, ça lui fait mal, …

Alors je n’ai pas osé attaqué votre dernier livre, Kramer. Rapport au titre ! J’avais peur de comprendre ce qui allait m’arriver ! Vous me direz que je suis un peu parano. Eh ! oui, que voulez-vous, Jean-Luc persécuté !