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Mathieu Mégevand
1 octobre 2013

Mégevand ?
Mathieu Mégevand ?

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Mathieu MégevandOui, vous ne me facilitez pas la tâche ! Vraiment. Parce que, comme histoire belge, vous aurez pu mieux choisir !  Elles ne manquent pourtant pas les histoires savoureuses, cocasses, surprenantes. Celle du sous-marin belge que l’on fait couler en frappant à la porte, celle de l’appareil à épiler les frites… Bien entendu, elles ont un petit côté politiquement non-correcte ; mais elles font parties de l’usage. Et on est toujours le Belge de quelqu’un. Et bien non, vous nous servez la pire des histoires belges, celle d’un car fonçant à 100km/h dans un mur en béton avec des dizaines d’enfant à bord. Vraiment pas drôle.

Bon, je vais essayer de faire comme vous, enfin comme vous le faîtes dans cet ouvrage, ne pas rire, passer d’une remarque à l’autre avec ses nombreuses solutions de continuité, vos chapitres se succédant, sans forcément s’additionner, sans forcément se répondre.

Vous parlez de Nicolas Bouvier, qui trouve que les enterrements dans le Haut-Baloutchistan, Rhode intérieur, sont plus joyeux et festifs que ceux de la cité de Calvin. Bien sûr, quand on se trouve dans un pays neuf, toute manifestation ethnique nous apparaît comme fascinante et festive. J’adore Bouvier, mais n’exagérons pas ! D’abord on ne va pas aux enterrements comme on va au cinéma. On ne se dit pas, « tiens cet après-midi, est-ce que je me fais un enterrement ou une toile? » On y va par nécessité, parce qu’un parent, un ami, un proche nous a quittés. Et dans ce cas-là, la fête est légèrement coriace.

Je me suis trouvé un jour dans une des chapelles du cimetière St-Georges, lieu qu’on ne peut guère qualifié de festif. Un copain du tango avait cassé sa pipe. Tristesse infinie. Tout d’un coup, les haut-parleurs ont joué une musique portègne et cinquante personnes se sont levées pour danser un tango qui était loin d’être funèbre. Si un esquimau avait passé par là dans son usage du monde, il aurait sans doute jugé les enterrements calvinistes très sensuels.

Etre à la recherche de la personne qui pourra donner la réponse.
Quelle était la question déjà ?
Ah oui, tous les paramètres sont connus, mais on ne peut pas résoudre l’énigme !  Pas de responsable, pas de coupable.
Une vraie histoire belge !
De très près, le sens se perd, dixit le scientifique. De très loin, le concept s’étiole, dixit l’éthicien. Mais l’homme n’est ni très loin, ni très près, il est là, et il subit.

La mort est passablement démocratique, on y passe tous, qu’elles que soient nos conditions. Et pour tout le monde également elle reste très mystérieuse. Nous ne l’expérimentons que par personne interposée. Je suis en train d’écrire Le Guide du Routard de l’au-delà, mais il me manque encore un chapitre essentiel! Comment pouvez-vous croire que des êtres humains, donc mortels, mais vivants, ont pu étudier la chose, via la science, l’histoire, l’éthique, l’archéologie ou Dieu sait quoi d’autre, et nous présenter des réponses convaincantes ? Vous n’êtes pas Belge pourtant ?

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D’ailleurs, vous n’en êtes pas convaincu vous-même ; car vous placez sur le même plan, votre expérience personnelle de la perte de cette amie chanteuse et vos contacts avec les plus éminents spécialistes sur le sujet. Comme quoi…

Ce qu’il y a d’étonnant avec la mort, celle des autres évidemment, c’est qu’elle nous enrichit d’une manière surprenante, mais ne nous apprend rien. On se trouve changé, parfois momentanément détruit, mais absolument autant ignare qu’avant. La mort nous a même fait perdre quelques certitudes.

Dieu, ou la religion, est un peu à l’image de la grammaire française, plus on creuse, plus elle se fait complexe et affaire de spécialistes. La règle disparaît, il faut se faire à l’usage.
Les anthropologues affirment que les dieux ont été créés en même temps que l’homme inventait l’agriculture. D’où la nécessité de creuser, encore et encore, je suppose.

Les mots. Ce qu’il en reste ?
Mais il n’y a rien en-dehors des mots ! Sans les mots, il n’y a rien ! Il ne reste rien. Sans mots, votre bouquin n’existe pas. Sans les mots, les Dieux n’existent pas. Sans les mots, la mort n’existerait pas.
La mort peut exister sans les mots ? Ricoeur, que vous citez, le dit à sa manière : moi je pense, mais pas mon cerveau.
La plante qui meurt n’a pas de mot pour le dire. Comme votre interlocuteur scientifique d’ailleurs. La plante n’a pas de mot pour dire qu’elle meurt, pas plus que la gazelle sous les crocs de la lionne !
En fait votre livre est une immense, mais triste histoire belge !

La preuve que seuls les mots restent, ce sont vos nombreuses citations de poètes, justement. Sans les mots que serait un poète ? J’ai de la chance, Philippe Jaccottet, que vous citez à de nombreuses reprises, est un de mes préférés.
Dans un de ses ouvrages, Jaccottet dit que l’Histoire, avec un grand H, c’est comme une montagne qui s’écroulerait. Ce qui correspond à notre autocar dans le tunnel. C’est énorme ; et des montagnes qui s’écroulent, il y en a beaucoup et partout. Il écrit : TOUT CELA MULTIPLE, ENORME, OBSEDANT, A VOUS BOUCHER LA VUE, A RENDRE L’AVENIR PRESQUE ENTIEREMENT OBSCUR.
On est en plein dans votre bouquin.
CELA AURAIT DU, CELA DEVRAIT CHANGER NOS PENSEES, NOTRE CONDUITE PEUT-ETRE, ON LE VOIT BIEN.
On est toujours en plein dans du Mégevand.
NEANMOINS, A TORT OU A RAISON, CE QUI FUT POUR MOI, DES L’ADOLESCENCE, ESSENTIEL, L’EST RESTE, INTACT.
Et ce qui reste, Jaccottet l’appelle la buée.
Encore un mot. Un beau mot. Visible et insaisissable à la fois.
Comme la vie ?