Archives de la surprise de Vincent Aubert

Jean-Michel Wissmer
3 septembre 2013

Heidi et la musique

Jean-Michel WissmerIl faut avouer que je suis déçu. Déçu parce que tout le monde dans cette docte assemblée a fait l’impasse sur un sujet, a oublié de parler de quelque chose de central. Malgré ses questions pertinentes, Serge Bimpage a passé à côté du sujet. Jean-Michel Wissmer, malgré tout son travail d’investigation n’en souffle mot. Quant à Christophe Gros, malgré ses qualités d’ethnologue, il reste muet sur la question. La déception est donc grande.

Remarquez que vous avez des circonstances atténuantes, car Johanna Spyri, l’auteur à la base de notre colloque, n’en parle pas elle-même.

Mais est-ce que, ne parler pas d’une chose, implique que cette chose n’existe pas ? Si je ne parle pas de Dieu, est-ce que cela signifie que Dieu n’existe pas ? Si je parle de l’Amazonie sans mentionné les moustiques, cela implique-t-il que ces infectes bestioles n’existent pas ? Non, évidemment. Cela serait trop simple ! Lorsque l’on entreprend une recherche, journalistique, littéraire, mythologique, ethnologique, il faut à la fois faire de l’ethnologie exotique et endotique .

Vous connaissez tous cette anecdote : dans une famille modèle, le fils cadet ne dit pas un mot à table depuis son plus jeune âge. Les parents consultent les meilleurs logopédistes, le père va s’entretenir avec le curé, la mère avec un rebouteux, rien n’y fait, le fils ne parle pas à table. Et puis un jour, alors que les parents s’enfoncent dans une dépression due à leur impuissance à faire parler leur progéniture, l’enfant dit ces mots magiques, inattendus : « il manque le Maggi ! ». Exclamations de surprises, de bonheur commensal, d’embrassade de ce fils qui articule ces quelques mots. « Mais mon fils, tu parles ! Pourquoi ne dis-tu jamais rien ? » Et le fils de répondre : « Mais jusqu’à présent tout était tip top ! »

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Ce qui a été omis jusqu’ici, c’est l’importance de la musique. Et moi j’ai fait des recherches, je me suis renseigné. Dans la majeure partie de la Suisse allemande, donc dans les régions où Johanna Spyri situe les activités de son personnage, la moitié des paroisses, au milieu du XIXème siècle possède une chorale. Elle ne sont pas forcément mixtes d’ailleurs. D’un côté le chœur des hommes, avec leur barbe fournie et leur chapeau orné des médailles des fêtes de tir successives, de l’autre, le chœur des paysannes, paysannes revêtues de leurs voiles, les bras couvert de leurs gants de dentelle, chaussette montantes et jupes longues. Non tout n’a pas été inventé par les islamistes. Les coiffes de ces dames, voiles ou voilettes, ainsi que tout leur costume, ont été inventé à cette période et officialisé à Genève sous le terme de costumes folkloriques en 1896, lors de l’exposition nationale.

Tout cela pour dire que la musique dans nos Alpes est omni présente. Et cette musique est pratiquée avec les moyens du bord. Car il est évident que l’on fait d’abord de la musique, puis, ensuite, on construit des conservatoires. Ceux qui pensent qu’il faut des conservatoires pour pourvoir pratiquer son art n’ont vraiment rien compris à la musique.

Dans les instruments utilisés à cette époque bénie de Heidi, il y a les castagnettes bernoises qui peuvent se pratiquer avec un balais d’écurie et une balayette, objet présent depuis la nuit des temps en Suisse centrale. (exemple)
Il y a aussi la jatte à lait, objet indispensable à l’économie locale. Mais surtout, l’ingéniosité suisse atteint des sommets quand il s’agit d’utiliser les cordes vocales. La non-mixité des chorales a justement permis d’inventer une technique de dédoublement de la voix qui permet de chanter sans la présence de l’autre sexe. Cette technique, dite de la glotte, jointe à celle de la médaille du tir et de la jatte à lait, donne une musique que les sampling et les DJ n’osent point imiter. Ici j’utilise un plat à salade et la fameuse pièce de cent sous si cher à notre autre mythe suisse, Guillaume Tell.
(suit un yodel d’enfer accompagné par la fameuse Barbara Klossner)