Archives de la surprise de Vincent Aubert

Jacques Roman
7 mars 2011

A la manière de Fabrice Luchini

Ecouter « A la manière de Fabrice Luchini » (3MB)

Dieulefit. Naître à Dieulefit c’est quand même quelque chose, non ? Ça oblige à réussir, ça demande à faire carrière. Dieulefit, c’est une injonction à laquelle il est difficile d’échapper.

Donc Dieulefit, la Drôme. Dans la même région, les noms des bourgs sont magnifiques : Poët-Laval, La Bégude de Mazengue. Ça sent bon la langue ! Presque les racines du vieux françois.

Et voilà que Jacques, après Dieulefit, atterrit à Lausanne. Lausanne, mais ça sent déjà l’échec ! Passer de Dieulefit à Lausanne, c’est comme être chassé du Paradis terrestre !

Et en plus, comme nom d’artiste, Jacques choisit Roman. C’est malin ça, Roman à Lausanne. Et il l’écrit sans D à la fin. Pour faire original, pour ne pas faire corps avec le terroir. Roman sans D pour ne pas être affiléé à Charles-Ferdinand.

Le D lui faisait peur : D comme défaut, déphasé, dépaysé, déraciné, désenchanté, déboussolé, dérivé.

Comment avoir le culot de se nommer Roman quand on voue presque toutes ses forces à la poésie, à la formule incisive, brûlante :
« La pensée comme les couteaux nous veut rémouleur » (Ces parages où la vie s’impatiente p 24)
Ou encore : « La peau est belle chemise » (Ces parages où la vie s’impatiente p 229)

Comment s’appeler Roman quand on n’est pas capable d’aligner dix lignes. C’est un comble. Je le cite :
« J’aurais trop peur écrivant un roman de me retrouver écrivain, écrivain à mes propres yeux » (Ces parages où la vie s’impatiente p 138)

A la manière de Frédéric Mitterand

Ecouter « A la manière de Frédéric Mitterand » (4MB)

Jacques Roman, veilleur insomniaque.
Jacques Roman, scrutateur de l’instant, matière ondulatoire.

« Chanter, pleurer, c’est toute ma chair. »
« Ma voix, au sable, au vent… cet enrouement à force de silence. » (parages p.81)
On dirait un concentré d’haïku.

Peut-il percevoir le monde qui l’entoure ? Il note dans son carnet des dates et des lieux, mais n’est-ce pas l’écoulement de sa vie qu’il tente de retenir nuit après nuit ? Cette centration sur lui-même, cette concentration permanente sent l’obsession. Pourtant il n’écrit pas « Schreiben macht frei» mais « Ecrire c’est peut-être ne dire que cela : que m’est-il arrivé ? »

Lire Jacques Roman, c’est goûter à son humour noir cioran et à sa légèreté quichottesque. Lui a beaucoup de peine à se lire :
« Le livre L’ardeur de l’ombre vient de sortir. Je l’ai relu la nuit passée puis je suis allé vomir à la salle de bain. » (Ces parages où la vie s’impatiente p 172)

Il faudrait pouvoir sortir de ses ouvrages l’esprit léger, libéré, serein. Ce n’est pas toujours facile. On croit pouvoir rire et soudain il fait sombre malgré l’éclat des lumières.

Je le cite :
« Un conseil : pour bien peindre une rose, commencer par les épines. » (L’ouvrage de l’insomnie, p 65)
ou encore :
«Vingt cinq ans que je fais l’effort pour m’abstenir d’écrire en mal sur ce pays dont je pense du mal. Je ne pourrais être à la hauteur. »

Plus loin encore (p51) :
« Chaque fois qu’après l’amour l’amante me demande si je l’aime, j’ai la désagréable impression d’apprendre que je viens de jouer une pièce dans le décor d’une autre. »

Mais parfois cela se gâte :
« Il y a des jours où le mauvais temps fait plaisir. Une chance. » idem p 24.
« Est-ce que l’on meurt en ayant tout appris de la mort ? » dit-il dans Toutes les vertus du désert. Que j’ai lu avec avidité par erreur. Par erreur oui, car moi qui suis très sucre, j’avais lu Toutes les vertus du dessert !

J’ai trouvé un portrait de Jacques Roman dans le Funambule de Jean Genet.

« Un forgeron – seul un forgeron à la moustache grise, aux larges épaules peut oser de pareilles délicatesses – saluait chaque matin son aimée, son enclume :
– Alors, ma belle !
Le soir, la journée finie, sa grosse patte la caressait. L’enclume n’y était pas insensible, dont le forgeron connaissait l’émoi. »

Ou encore cet autre portrait dressé par Baudelaire :

Jacques Roman est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.